Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 1.pdf/25

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vers inimitables de Racine, appliqués à l’un de nos meilleurs mélodrames, eussent empêché, même aux boulevards, l’ouvrage de réussir ? Inventez, concevez pour ceux qui tous ne savent pas lire, écrivez pour ceux qui savent écrire.

Par suite d’habitudes enracinées, nous jugeons encore le peuple avec prévention. Il ne se présente à nous que comme une tourbe grossière, incapable d’impressions élevées, généreuses, tendres. Toutefois, chez nous il y a pis, même en matière de jugements littéraires, surtout au théâtre. S’il reste de la poésie au monde, c’est, je n’en doute pas, dans ses rangs qu’il faut l’aller chercher. Qu’on essaie donc d’en faire pour lui ; mais, pour y parvenir, il faut étudier ce peuple. Quand par hasard nous travaillons pour nous en faire applaudir, nous le traitons comme font ces rois qui, dans leurs jours de munificence, lui jettent des cervelas à la tête et le noient dans du vin frelaté. Voyez nos peintres : représentent-ils des hommes du peuple, même dans des compositions historiques, ils semblent se complaire à les faire hideux. Ce peuple ne pourrait-il pas dire à ceux qui le représentent ainsi : « Est-ce ma faute si je suis misérablement déguenillé ! si mes traits sont flétris par le besoin, quelquefois même par le vice ? Mais dans ces traits hâves et fatigués a brillé l’enthousiasme du courage et de la liberté ; mais sous ces haillons,