Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 2.pdf/169

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« Trompez l’amour, croyez-en ma sagesse ;
« Qu’un philtre heureux, par vos mains préparé,
« De votre époux rallumant la jeunesse,
« Donne à la vôtre un fils tant désiré. »

La vieille alors, baissant sa voix tremblante,
M’enseigne l’art de ce philtre charmant.
J’allais, sans elle, en ma fièvre brûlante,
Maudire époux, père, autel et serment.

Mais, vers ce frêne accourant dès l’aurore,
Dans ses rameaux j’ai su glisser ma main.
La cantharide y reposait encore :
Heureuse aussi, je dormirai demain.

Meurs, il le faut ; meurs, ô toi qui recèles
Des dons puissants, à la volupté chers !
Rends à l’Amour tous les feux que tes ailes
Ont à ce dieu dérobés dans les airs.

Mes jours, mes nuits, ma vie, étaient sans charmes ;
Je répugnais à d’innocents plaisirs.
Tout bas ma bouche, insultant à mes larmes,
Osait donner un nom à mes désirs.

Mon cœur brûlait ; hélas ! il brûle encore.
Jamais breuvage aura-t-il cette ardeur
Qui dans mon sang circule, me dévore,
Et d’un long trouble accable ma pudeur ?

Père cruel ! Il fallait de ta fille
Aux murs d’un cloître ensevelir les jours.