Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 3.pdf/70

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Un bruit m’arrive ; est-ce un bruit de victoire ?
On crie un nom ; je ne l’entends pas bien.
Grands, dont là bas je vois ramper la gloire,
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Sachez pourtant, pilotes du royaume,
Combien j’admire un homme de vertu,
Qui, regrettant son hôtel ou son chaume d*,
Monte au vaisseau par tous les vents battu.
De loin ma voix lui crie : Heureux voyage !
Priant de cœur pour tout grand citoyen.
Mais au soleil je m’endors sur la plage.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Votre tombeau sera pompeux sans doute ;
J’aurai, sous l’herbe, une fosse à l’écart.
Un peuple en deuil vous fait cortége en route ;
Du pauvre, moi, j’attends le corbillard.
En vain on court où votre étoile tombe ;
Qu’importe alors votre gîte ou le mien ?
La différence est toujours une tombe.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

De ce palais souffrez donc que je sorte.
À vos grandeurs je devais un salut.
Amis, adieu. J’ai derrière la porte
Laissé tantôt mes sabots et mon luth.
Sous ces lambris près de vous accourue,
La Liberté s’offre à vous pour soutien.
Je vais chanter ses bienfaits dans la rue.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.