Allons plutôt vendre au marché
Les olives de notre mère.
L’ÉGYPTIENNE.
Voyons ta main, mon enfant, et crois-moi, (Bis.)
Quand je dirais : Tu seras plus qu’un roi.
Les chevaux s’arrêtant d’eux-mêmes,
— Voyez, dit-elle en souriant,
J’ai, pour braver les anathèmes,
Tous les secrets de l’Orient.
Malgré l’aîné, qu’elle intimide,
Le plus jeune, au regard altier,
S’avance alors : — Femme intrépide,
Vous avez vu le monde entier ?
L’ÉGYPTIENNE.
Oui, j’ai vu tout, ombre et lumière,
Enfer et ciel, morts et vivants.
Dieu m’a crié : Comme les vents
Passe et n’emporte que poussière.
Voyons ta main, mon enfant, et crois-moi,
Quand je dirais : Tu seras plus qu’un roi.
NAPOLÉON.
En Égypte vous êtes née ?
L’ÉGYPTIENNE.
Non ; dans Moscou fut mon berceau.
La source à Memphis couronnée
Là vient se perdre obscur ruisseau.
De consoler ma race antique
Quels soins le sort n’a-t-il pas pris ?
Dans tes déserts, jeune Amérique,
J’ai foulé d’antiques débris ;
Et sur des monts de cendre humaine,
Dans l’Inde, lasse de marcher,
Je vins gémir sur un rocher
Inconnu, nommé Sainte-Hélène.
Voyons ta main, mon enfant, et crois-moi,
Quand je dirais : Tu seras plus qu’un roi.
NAPOLÉON.
Femme, que fait la métropole,
Ce grand Paris, notre fanal ?
L’ÉGYPTIENNE.
Cette ville, que l’on croit folle,
C’est Brutus en habit de bal.
Là j’entendis, l’oreille à terre,
De profonds et sourds grondements.
Palais et temples, un cratère
Va s’ouvrir sous vos fondements.
Un ciel pur semble nous absoudre,
Chantait la cour dans ses ébats.
Le ciel est pur ; mais c’est d’en bas
Qu’à présent partira la foudre.
Voyons ta main, mon enfant, et crois-moi,
Quand je dirais : Tu seras plus qu’un roi.
NAPOLÉON.
Je me fie à votre science ;
Égyptienne, voici ma main.
L’ÉGYPTIENNE.
Que vois-je ! Ô signes de puissance !
Ô labeurs du génie humain !
Muses, pour vous quelle épopée !
Législateurs, qu’il sera grand !
France, à l’œuvre ! forge une épée
Pour cette main de conquérant.
Rois, pleurez vos orgueils de race ;
Suivez-le, peuples haletants.
Moi, je tombe aux pieds dont le temps
Doit à jamais garder la trace.
J’ai vu ta main. Ô noble enfant ! crois-moi,
Quand je te dis : Tu seras plus qu’un roi.
Aux paroles de la sibylle,
Le jeune homme, silencieux,
Croise les bras, rêve, immobile ;
Un éclair brille dans ses yeux.
À genoux reste l’Égyptienne,
Mais Joseph s’écrie, exalté :
— Napoléon, qu’il te souvienne
De moi dans ta prospérité.
Afin de payer l’étrangère
Pour qui Dieu n’a rien de caché,
Frère, courons vendre au marché
Les olives de notre mère.
L’ÉGYPTIENNE.
J’ai vu ta main. Ô noble enfant ! crois-moi,
Quand je te dis : Tu seras plus qu’un roi.