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SAINT NAPOLÉON[1]


À UN BARON DE L’EMPIRE


Air :


Vous, fier baron, qui rampiez dans un temps
Fécond en lois, en travaux, en batailles,
Combien d’honneurs vous devez aux trente ans
Qui de l’empire ont vu les funérailles !
L’aigle a légué la France aux étourneaux :
Pour un Gérard que de J................ ![2]

Un homme né pour s’élever aux cieux
Se montre-t-il, tous les nains qui l’approchent
Sur ce géant se guindent de leur mieux,
À ses habits, à ses bottes s’accrochent.
À peine il voit ces avortons, qu’il rend
Fiers de sa taille et qu’il porte en courant.

Heureux baron, un jour il vous parla,
« Sers-moi », dit-il. Et d’un signe il ajoute :
« Viens » ; vous venez. « Va là » ; vous allez là.
Mais il perdit sceptre et valets en route.
Tout, depuis lors, vous fut prospère au point
Qu’un roi, sans vous, régnerait mal ou point.

De vos débuts ne rougissez pas trop ;
Chacun en cour passe à cette filière ;
Notre empereur, créateur au galop,
Quand son crachat fécondait la poussière,
Fit pour un saint, dans le ciel pris d’assaut,
Ce qu’ici-bas il fit pour plus d’un sot.

Oui, son patron, vieux défunt peu connu,
Au paradis végétait sans prébende.
De tout rayon lui voyant le front nu,
Les saints criaient au saint de contrebande :
« D’où nous vient-il ? Qui l’a canonisé ?
« Nous parierions qu’il n’est pas baptisé. »

« Un pape intrus, disaient de bons voisins,
« L’aura tiré des carrières de Rome,
« De faux martyrs éternels magasins.
« Chassons ce gueux ! » Et contre le pauvre homme
Monsieur saint Roch court exciter son chien,
Tant les heureux ont le cœur peu chrétien.

Mais jusqu’au ciel, d’Austerlitz, d’Iéna,
Montent les bruits et les ordres du pape.
Vite on accorde au saint que l’on berna
Fleurs, auréole et triple part d’agape.

  1. Pendant tout le règne de Napoléon, son patron fut substitué, sur le calendrier, à saint Roch, qui, depuis la restauration à repris sa place au 16 août.

    Les prêtres composèrent à grand’peine une courte légende au saint impérial, dont le nom même n’avait jusque-là paru que dans les vieilles chroniques italiennes.

  2. Plusieurs de nos généraux ont illustré le nom de Gérard, mais aucun autant que le maréchal, dont les vertus, le patriotisme et les talents peuvent se passer d’éloges, tant son nom éveille d’honorables sympathies.