Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/631

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Et l’oiseau noir se prend à rire.

                        LA COLOMBE.
Porte avec moi l’espoir dans l’arche ;
Montrons les flots moins soulevés,
Et rendons grâce au patriarche.
Corbeau, l’homme nous a sauvés.
                        LE CORBEAU.
Oui, pour repeupler son empire
Et nous croquer, gros ou petit :
Souhaite-lui bon appétit. —
Et l’oiseau noir se prend à rire.

                        LA COLOMBE.
L’homme sur toute créature
Règne, et du ciel vient cette loi.
                        LE CORBEAU.
J’en doute fort ; car la nature
Partout pâlit devant son roi.
Mais dans l’abîme qui l’attire
Va s’engouffrer son lourd bateau :
Je le vois là-bas qui fait eau. —
Et l’oiseau noir se prend à rire.

                        LA COLOMBE.
Non : Dieu réserve une famille.
L’Océan reprend son niveau ;
Un signe de paix au ciel brille :
Il va naître un monde nouveau.
                        LE CORBEAU.
Des mondes il sera le pire
Si l’homme doit en hériter.
Dieu devrait bien me consulter. —
Et l’oiseau noir se prend à rire.

                        LA COLOMBE.
Prophète de désespérance,
Tu ris des maux que tu prévois.
Moi, pour calmer une souffrance,
Je donnerais plumage et voix.
Adieu. Tu me ferais maudire ;
Je ne veux vivre que d’amour.
                        LE CORBEAU.
Tu veux donc vivre à peine un jour ? —
Et l’oiseau noir se prend à rire.

                        LA COLOMBE.
Méchant ! qu’ici ton fiel s’épanche.
Je vais aux mortels malheureux
De l’olivier porter la branche
Que Dieu m’a fait cueillir pour eux.
                        LE CORBEAU.
Ma colombe, ils te feront cuire
Avec le bois de ce rameau.
De Satan l’homme est le jumeau. —
Et l’oiseau noir se prend à rire.