Page:Béranger - Ma biographie.djvu/211

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Il a commis une faute que je lui ai reprochée bien des fois ; c’est d’avoir acheté le fastueux château de Maisons, séjour le plus ennuyeux que je connaisse et qui ne me semblait supportable que lorsque j’y étais avec Mannel, Thiers et Mignet[1]. M’y trouvant seul, il m’est arrivé de le quitter pour aller, à travers la forêt, dîner dans un restaurant de Saint-Germain. Je n’ai pas oublié que, dans cette demeure royale où cependant on montre encore la chambre que Voltaire a longtemps habitée, je n’ai jamais pu faire un seul couplet. Je ne suis pas né pour les châteaux : c’est peut-être ce qui me rend injuste envers Mansart, qu’en faveur des mansardes je devrais cependant aimer beaucoup.

Lancé au milieu de la société la plus opulente, mon indigence n’y fut pas un embarras pour moi, car il ne me coûtait pas de dire : « Je suis pauvre. » Ce mot, que trop de gens hésitent à proférer, tient presque lieu de fortune, parce qu’il vous fait permettre toutes les économies et vous concilie l’intérêt de bien des femmes et, par conséquent, celui des sa-

  1. De 1825 à 1827. C’est là que se prépara véritablement la noble révolution de Juillet. Laffitte agissait sur le Palais-Royal, MM. Thiers et Mignet écrivaient leurs histoires de la Révolution, et s’apprêtaient à la lutte qu’ils soutinrent dans le National ; Béranger travaillait ses vigoureuses chansons du recueil de 1828. Le souvenir de ce temps d’orgueil et d’espérance est resté très-vif chez M. Thiers. « Béranger, dit-il, a été un père pour nous. »