Page:Béranger - Ma biographie.djvu/213

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n’eût voulu suivre la même voie : je n’ai pris que le rebut des autres. J’étais à l’âge où l’on ne se laisse pas éblouir par les succès. Pour mériter ceux que j’obtins, je tâchai de les faire tourner au profit du genre auquel je devais faire bientôt le sacrifice de tous mes autres projets. Il était de règle au Caveau, cette académie chantante, que la chanson ne devait briller que par l’esprit et la gaieté ; c’était trop peu. Plus ou moins, je suis né poëte et homme de style ; je ne m’aperçus pas d’abord que ce qu’il y avait en moi de poésie pouvait trouver place dans ce genre beaucoup moins étudié que pratiqué. Enfin la réflexion m’enseigna tout le parti qu’on en pouvait tirer. La chanson m’ouvrait d’ailleurs un sentier où mon humeur marcherait à l’aise. Par elle j’échappais aux exigences académiques et j’avais à ma disposition tout le dictionnaire, dont la Harpe prétend que les quatre cinquièmes sont défendus à notre poésie[1].

Je ne pouvais non plus me dissimuler que la fixité des principes n’excluait pas en moi une grande mobilité d’impressions, qui pouvait s’opposer à l’achèvement de toute œuvre un peu longue sur un ton uniforme. L’auteur doit étudier l’homme en lui ; ce qu’on ne peut faire quand on débute trop tôt. Dès

  1. Il faut se souvenir que je réfléchissais ainsi avant l’apparition de l’école nouvelle, qui a changé tout cela, comme dit le Médecin malgré lui. (Note de Béranger.)