Page:Béranger - Ma biographie.djvu/28

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passion de ma vie. Sauf les fièvres et les migraines de plus en plus douloureuses, ma santé n’éprouva d’accident à Péronne que celui qui eût pu supprimer tous les autres. Au mois de mai 1792, j’étais debout sur le seuil de la porte, à la fin d’un orage ; le tonnerre tombe, éclate, passe sur moi, et me jette à terre, complétement asphyxié. Une épaisse fumée remplit la maison, dont la foudre a dévasté l’intérieur et lézardé les pignons. Ma tante, ne s’occupant que de moi, qu’elle voit étendu mort, me saisit, me porte dans ses bras, et m’expose à l’air et à la pluie. Au milieu de la foule accourue, elle me tâte le pouls, le cœur, y cherche en vain quelque signe d’existence, et s’écrit : « Il est mort ! » Je pus l’entendre, longtemps avant que je pusse faire un mouvement et dire un mot pour la rassurer. Enfin, rappelé insensiblement à moi, après avoir répondu à ses caresses de joie, je laissai échapper une réflexion d’enfant raisonneur, qu’elle m’a bien souvent reprochée, en ajoutant chaque fois : « Je vis bien que tu ne serais jamais dévot. » J’ai dit qu’elle était sincèrement religieuse. Lorsqu’un orage s’annonçait, elle aspergeait la maison d’eau bénite. « C’est pour nous préserver du tonnerre, » m’avait-elle dit. Revenu à la vie, encore étendu sur le lit d’un voisin, et me faisant raconter ce qui venait d’arriver : « Eh bien, m’écriai-je, à quoi sert ton eau bénite ? »