Page:Béranger - Ma biographie.djvu/362

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premier[1] le poëte plébéien qui renversait les statues royales et qui avait accepté la plus grande partie de l’héritage de Voltaire. Béranger ne dissimula pas le plaisir que ces éloges lui faisaient ; il accepta avec joie cette haute amitié ; il en fut plus fier encore lorsque le courant des années et l’ébranlement de la vieille politique eurent paru pousser le chantre des Martyrs sur les rivages du monde démocratique. On sait comment Chateaubriand a parlé des chansons de Béranger sous le gouvernement même des Bourbons, dont elles préparaient la chute, et comment, après cette chute, Béranger pleura en beaux vers l’exil volontaire de Chateaubriand. Ils ne cessèrent plus d’être amis, et Chateaubriand, dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, ne devait traiter personne aussi bien que Béranger[2].

  1. « Sous le simple titre de chansonnier, un homme est devenu un des plus grands poëtes que la France ait produits ; avec un génie qui tient de La Fontaine et d’Horace, il a chanté, lorsqu’il l’a voulu, comme Tacite écrivait. » (Préface des Études historiques.)
  2. « Près de la Barrière des Martyrs, sous Montmartre, on voit la rue de la Tour-d’Auvergne.

    « Dans cette rue à moitié bâtie, à demi-pavée, et dans une petite maison retirée derrière un petit jardin et calculée sur la modicité des fortunes actuelles, vous trouvez l’illustre chansonnier. Une tête chauve, un air un peu rustique, mais fin et voluptueux, annoncent le chansonnier et le font reconnaître. Je repose avec plaisir mes yeux sur cette figure plébéienne, après avoir regardé tant de faces royales ; je compare ces types si différents : sur les fronts monarchiques, on voit quelque chose d’une nature élevée, mais flétrie, impuissante, effacée ; sur les fronts démocratiques paraît une nature physique commune, mais on reconnaît une haute nature intellectuelle ; le front monarchique a perdu la couronne ; le front populaire l’attend. Notre chansonnier a les diverses qualités que Voltaire exige pour la chanson : « Pour bien réussir à ces petits ouvrages, dit l’auteur de tant de poésies gracieuses, il faut, dans l’esprit, de la finesse et du sentiment, avoir de l’harmonie dans la tête, ne point trop s’élever, ne point trop s’abaisser, et savoir n’être pas trop long. » Béranger a plusieurs muses, toutes charmantes, et, quand ces muses sont des femmes, il les aime toutes. Lorsqu’il en est trahi, il ne tourne point à l’élégie ; et pourtant un sentiment de pieuse tristesse est au fond de sa gaieté : c’est une figure sérieuse qui sourit, c’est la philosophie qui prie.

    « Mon amitié pour Béranger m’a valu bien des étonnements de la part de ce qu’on appelait mon parti ; un vieux chevalier de Saint-Louis, qui m’est inconnu,