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Page:Béranger - Ma biographie.djvu/396

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L’un des plus intéressants épisodes de la vie de Béranger, à cette époque, c’est l’histoire de ce Napoléon qu’en 1839 il accepta d’écrire ou plutôt de faire écrire par M. Pierre Leroux et de signer conjointement avec lui, après l’avoir relu et corrigé. Pour qui sait quelle crainte il avait du public et quelle défiance il éprouvait lorsqu’il avait à écrire une ligne de prose, cette résolution est le plus grand acte de haute charité dont on puisse honorer sa mémoire. M. Leroux, dont Béranger estimait le talent et dont il voulait à tout prix soulager la misère, devait y gagner une cinquantaine de mille francs au moins. Non-seulement Béranger accepta le marché qu’on lui offrait, mais il fit tout pour en rendre les conditions avantageuses à son ami. M. Pierre Leroux ne put achever le travail entrepris et Béranger eut à rembourser quelques milliers de francs, donnés d’avance par les éditeurs à l’écrivain qu’il avait voulu sauver de son infortune ; mais ce ne fut pas cette perte d’argent qui l’affligea, ce fut le chagrin qu’il eut d’avoir tant risqué pour ne pas rendre en entier le service qu’il espérait rendre. Une fois l’affaire rompue, il paya vite, et s’estima, en somme, bien heureux de ce que son nom n’était pas livré, au frontispice d’une œuvre si importante, au jugement du public et de la postérité.

Un autre épisode, plus touchant encore, et unique dans cette vie si sage, c’est l’événement qui, en 1840, a subitement arraché Béranger à sa retraite de Tours.

On a blâmé ou admiré, suivant qu’on aimait ou n’aimait pas Béranger, l’équilibre de sa raison. On a cru qu’il n’avait jamais connu les amères inquiétudes, les folies, les déchirements de l’amour. Qu’on sache donc qu’en 1840 ce sage, si habile à penser juste et à faire bien, a été frappé au cœur d’un coup de flèche invincible. Venu tard, l’enivrant amour ne fut que plus rapide et plus cruel.

Il fut un moment où la passion lui monta à la tête comme