Page:Béranger - Ma biographie.djvu/403

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« Quand on parle à un homme de mon âge, qui, au risque des persécutions, a consacré d’une manière désintéressée son peu de talent à servir une cause qu’il a crue et croit toujours la meilleure, il me semble, quelle que soit l’opinion qu’on professe, qu’il est au moins de bon goût de donner à la raison les formes d’une politesse qui ne peut qu’ajouter du poids à la vérité, en inspirant de la considération pour celui qui veut bien s’en faire l’organe.

« Mon âge, dont vous paraissez me faire un reproche, m’autorise à vous soumettre cette réflexion en retour du service que vous voulez sans doute me rendre en dissipant les illusions dont vous supposez que je berçais ma vieillesse. »

Mais c’est la seule fois sans doute que Béranger eut à écrire sur ce ton à un jeune homme. Il aimait beaucoup et accueillait volontiers les jeunes gens. Son amour de la patrie et sa foi dans l’avenir les lui faisaient chérir ainsi. À leur tour ils le vénéraient et l’aimaient plus encore qu’ils ne l’admiraient. On en a eu la preuve dans cette belle soirée du mois de juillet 1850 que Béranger se rappelait avec tant d’émotion, lorsque, entré par hasard avec quelques amis dans le jardin de la Closerie des Lilas, près du Luxembourg, il fut reconnu, acclamé, couvert de fleurs par toute la jeunesse du quartier latin.

Pendant plus de vingt ans, ce patronage des jeunes intelligences a été à la fois le plus vif souci et le plaisir le plus doux de Béranger. S’il venait un ignorant trop hardi, il ne le rudoyait pas ; il prenait mille détours ingénieux pour l’amener à de sages études ou à l’oubli des rêves inutiles ; si le suppliant montrait dans sa prière même un germe d’avenir, Béranger devenait sur-le-champ le directeur de sa jeunesse. Il comprenait les charges de sa gloire.

Enfin, arrive le jour où, comme frappée par la foudre de la chanson du Déluge, la royauté constitutionnelle fut brisée.