Page:Béranger - Ma biographie.djvu/407

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de savoir n’être rien ? La nature m’a créé pour ce genre d’utilité, qui ne fait envie à personne.

« Enfin, chers concitoyens, que l’ivresse du triomphe ne vous abuse pas. Vous pourrez avoir besoin encore qu’on relève votre courage et qu’on ranime vos espérances. Vous regretteriez, alors, d’avoir étouffé sous les honneurs le peu de voix qui me reste. Laissez-moi donc achever de mourir comme j’ai vécu, et ne transformez pas en législateur inutile votre ami, le bon et vieux chansonnier. À vous de cœur, chers concitoyens. »

Deux cent quatre mille quatre cent soixante et onze voix répondirent qu’il n’y avait aucun nom plus populaire, et que le nom de Béranger appartenait à la nation. Béranger courba la tête et entra dans l’Assemblée constituante, étonné, inquiet, embarrassé, mal à son aise.

Peu de jours après, sentant qu’il ne pouvait se contraindre davantage, il pria l’Assemblée d’accepter sa démission.

L’histoire dira que Béranger eut raison. Il n’était pas né pour un rôle public, toute sa vie l’atteste et ce n’était pas à soixante-huit ans qu’il pouvait faire violence à sa nature. En dehors des conseils de la République, il eût servi encore la République, si le bonheur des temps l’eût permis.

L’Assemblée nationale refuse la démission de Béranger. Alors il a recours à la prière et à la supplication[1].

  1. « Quelques esprits ardents ont reproché, et, aujourd’hui encore, reprochent à Béranger, de n’être pas demeuré, en ces jours orageux de 1848, à un poste où sa présence eut peut-être empêché beaucoup de mal. Quant à moi, je dois dire que sa décision ne m’étonna point. C’était lui qui m’avait, en quelque sorte, tenu sur les fonts baptismaux de la politique ; c’était lui qui, avec une affection presque paternelle, avait essayé de guider mes premiers pas dans l’âpre carrière. J’avais donc eu occasion de l’étudier, et nul mieux que moi n’avait la mesure de cette grande prudence de Béranger, dont les conseils avaient quelquefois irrité, en les enchaînant, les impatiences de ma jeunesse. Il était républicain à