Page:Béranger - Ma biographie.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

put aller que jusqu’à l’église, appuyé péniblement au bras d’un ami, et, le cœur gros de douleurs étouffées, il rentra dans son appartement désert. Les soins empressés, les consolations de ses amis, le fortifièrent pour l’apparence ; il fit ce qu’il put pour supporter encore sa vie affligée et meurtrie ; mais la maladie et le chagrin ne devaient lui laisser que bien peu de jours, et des jours bien tristes !

Il s’appesantissait d’une manière de plus en plus inquiétante. Souvent, lorsqu’on lui parlait, il oubliait soudain la conversation et fixait son regard, ce regard qu’on n’oublie pas, sur des images invisibles. Parfois il sortait de ces contemplations intérieures et se réveillait avec de douces paroles. Dès lors l’inquiétude n’eut plus de repos. Il fallut qu’un médecin particulier, M. Jabin, donnât au malade des soins continuels. On crut devoir recourir aussi à l’expérience spéciale de M. Bouillaud, qui vint deux fois et confirma l’arrêt de M. Trousseau.

Vers la fin de juin, par les rudes chaleurs, la crise du déchirement définitif se manifesta : on avait déjà vu s’obscurcir cette limpide intelligence. Cet esprit si animé avait pu s’affaiblir ! Cet œil si vif s’était voilé déjà ! L’anxiété publique n’eut plus de bornes dès qu’un journal eut annoncé le péril où était Béranger.

Ses anciens amis, ses nouveaux amis, les amis intimes, les amis inconnus, Paris entier accourut dans la rue de Vendôme. On venait consulter dès le grand matin les bulletins de santé, et le plus petit signe funeste augmentait la douleur de tous.

Ses plus anciens amis, MM. Thiers, Mignet, Lebrun, le visitèrent presque tous les jours. Ils étaient liés depuis bien des années par une vive amitié.

C’est en revoyant ces anciens amis que Béranger sentit son esprit se réveiller et son mal s’adoucir. Il leur parlait avec tendresse et avec enjouement. Un jour qu’il s’entretenait de