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Page:Béranger - Ma biographie.djvu/56

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fois. Je ne vous ai jamais raconté ma vie, ma misérable vie. Elle a été bien triste !

— Eh bien, mère Jary, racontez-la-moi.

— Mais vous écrivez.

— Qu’importe !

Je vais donc tout vous dire. Peut-être vous donnerai-je ainsi moyen de m’être utile. »

HISTOIRE DE LA MÈRE JARY.

« J’ai été fort jolie, fort gaie, fort rieuse. Ma mère, petite couturière, m’apprit son état et je devins ouvrière assez habile. J’avais dix-sept ans quand Jary demanda ma main. Il était beau garçon, de joyeuse humeur et avait un emploi dans les écuries du roi : c’était une fortune. Ma mère, depuis la mort d’un fils beaucoup plus âgé que moi, restée faible et souffrante, avait le pressentiment de sa fin prochaine, et, voyant que Jary me plaisait, elle se hâta de conclure le mariage, qui, pendant un mois, fut le plus heureux du monde. Mais bientôt Jary se montra ce qu’il était, joueur, ivrogne et libertin. Nous habitions Versailles ; il rentrait ivre, me battait et amenait des filles au logis. Mes peines s’accrurent par la perte de ma mère, à qui je les cachais et qui mourut avec la consolation de me croire parfaitement