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Page:Béranger - Ma biographie.djvu/61

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son matelas sans pouvoir proférer une parole. Malgré la fièvre qui vient de me prendre, je me traîne auprès de lui et le force de boire un reste de vin qu’il avait gardé pour moi. Il se ranime enfin ; mais alors des pleurs inondent son visage, si défait, si pâle. Une secrète inquiétude m’agite. « Et notre fils ? » lui dis-je. À ces mots, ses pleurs redoublent ; il me presse dans ses bras défaillants « Il est aux Enfants-Trouvés, » répondit-il en se laissant retomber sur le matelas.

« Voilà, mon cher monsieur, le plus affreux moment de ma vie, celui qui l’a remplie d’une amertume telle, que tous les biens de ce monde n’eussent pu l’adoucir. Je m’écrie : « Quoi ! tu as porté là mon fils ! — Nanette, écoute, dit-il en me prenant les mains ; je n’ai plus que quelques jours à vivre, quelques heures peut-être. Je te laisse accablée de dettes, sans un seul ami, sans la moindre protection. Que serais-tu devenue avec un enfant que tu ne pouvais nourrir ? Que serait-il devenu lui-même, ce cher enfant ? Et qui sait ? ton mari ne peut-il pas revenir ? Pardonne-moi et écoute-moi, je t’en supplie. Avant de le déposer dans cette maison, je lui ai fait, à la cuisse gauche, une croix de la forme de celle que tu as mise en gage. Comme il n’était pas baptisé, j’ai attaché un billet à ses langes où je demande qu’on lui donne mon nom de Paul. »