Page:Béranger - Ma biographie.djvu/69

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servira de transition pour passer à celle de mes adversités[1].

  1. « L’Histoire de la mère Jary est un chef-d’œuvre, comme le Mouchoir bleu de Béquet, comme la Redoute de M. Mérimée, et au même titre : la précision vive, l’accent pénétrant, l’effet pathétique et naturel. » (Journal des Débats du 26 décembre 1857.)

    « Au milieu de ces souvenirs d’enfance et de jeunesse, il en est un qui est étranger à la vie de Béranger, mais qu’on ne peut passer sous silence, car Béranger lui doit les dix plus belles pages de son livre. C’est un épisode intitulé : Histoire de la mère Jary, anecdote rapide et concise, comme on savait en composer autrefois, avant que le Roman à la manière anglaise, importation exotique, eût remplacé le genre tout français du Récit. Cette courte et touchante histoire est une des plus belles choses qui soient sorties de la plume de Béranger, et peut hardiment prendre sa place à côté de Jeanne la Rousse et du Vieux Vagabond. Nous avons été d’autant plus touché de cette anecdote, qu’elle roule sur un sujet dont nos modernes romanciers nous ont déshabitués, l’amour maternel. Ce vieux sentiment, éternel comme la nature humaine, a été, pour ainsi dire, renouvelé par Béranger, et se présente, dans son sobre, savant et cependant naïf récit, avec une physionomie tout à fait originale. Par suite de circonstances horriblement dramatiques que le poëte a racontées avec une simplicité admirable, une pauvre femme a perdu son unique enfant, et depuis plus de quarante ans elle le cherche à l’angle de toutes les rues, à la porte de toutes les églises, sur toutes les promenades publiques. Elle l’a suivi en imagination dans tous les âges de l’existence : elle l’a vu enfant, puis jeune homme, puis homme fait. Quelques-uns des traits de ce récit sont sortis des profondeurs mêmes de la nature humaine, et ont un accent à la fois plein de vérité et de poésie ; celui-ci, par exemple, lorsque la mère, parlant en imagination à son fils, compte les ravages que l’âge a déjà faits sur lui : « Combien, Paul, tu as de cheveux blancs ! » Quel beau sujet pour un romancier moderne que l’odyssée de cette femme poursuivant une vision à travers toute l’existence ! Nous n’en aurions pas été quittes à moins de huit ou dix volumes. L’histoire occupe dix pages à peine dans la Biographie de Béranger ; nous n’hésitons