Page:Béranger - Ma biographie.djvu/71

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pour la caisse : j’habitais une mansarde sans feu[1], où la neige et la pluie inondaient souvent mon lit de sangle. Mes plaisirs n’étaient pas dispendieux ; je n’avais pas même le goût de la toilette, et le jeu n’a jamais eu prise sur moi. « L’opulence de ton père ne durera pas, » m’avait dit ma tante, et ce mot avait réglé ma conduite. Quoique laid et de mine chétive, je n’ai pas eu occasion de dépenser avec les femmes, qui seules eussent pu m’entraîner à des folies onéreuses.

Une autre passion se développa en moi au milieu de ces funestes circonstances. J’avais jusqu’alors rimaillé sans suite et sans but ; enfin un véritable amour de la poésie vint s’emparer de moi. Quoique toujours très-faible grammairien, je me mis à étudier tous les genres, à les essayer à peu près tous, et parvins, en peu d’années, à me faire une poétique presque complète, que j’ai sans doute perfectionnée depuis, mais qui n’a presque pas varié dans ses règles principales. C’est aussi à cette époque que je méditai sur la langue et son génie, prenant ainsi par en haut une science dont les degrés rudimentaires m’ont toujours inspiré une sorte de répugnance.

À l’aspect de la misère qui ne tarda pas à nous menacer, la poésie dut me sembler une consolation

  1. Sur le boulevard Saint-Martin, entre le théâtre de la Porte-Saint-Martin et l’Ambigu : c’est le célèbre Grenier de la chanson.