Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 1.djvu/136

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à la forme de cette terre triangulaire et à ses trois côtés presque égaux.

Or, la Sicile, pour le Poète odysséen, est, non pas l’Ile du Triangle, Trinakrie, mais Thrinakie, « l’Ile du Trident ». Ce nom ne saurait être appliqué à la Sicile par quiconque en aurait une connaissance directe. Il implique une vision toute différente de la réalité, la vision de l’une de ces îles ou presqu’îles grecques, Péloponnèse ou Chalcidique, dont les côtes déchiquetées allongent en pleine mer trois bras de roches acérées et tendent aux navigateurs la triple fourche de leurs trois chaînes parallèles, que terminent trois caps assez proches.

Il faut en conclure qu’aux temps homériques, ni les aèdes ni leurs auditoires n’avaient vu les rivages siciliens. Le Poète ou ses devanciers n’ont pas plus imaginé ce nom propre que tous les autres auxquels ils ont lié les aventures d’Ulysse : dans les écrits des étrangers, ils avaient trouvé un nom qui, sans doute, correspondait à Trinakrie : entre la réalité, qui justifiait ce nom, et la vision qu’ils s’en firent, les souvenirs personnels ou les connaissances de leur peuple interposèrent une vue de côtes familière aux Achéens déjà : au lieu du triangle sicilien, ils virent le trident du Péloponnèse ou de la Chalcidique… Ils ont fait un contresens : ils faisaient donc une version.