Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/172

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Continent. Depuis la première publication de Macpherson (1762), mais depuis 1770 surtout, l’ossianomanie sévissait dans l’érudition et la littérature de toute l’Europe. Les philosophes français s’étaient faits les apôtres de cette « poésie de nature » qui, ne devant rien à la civilisation ni aux règles traditionnelles, jaillissait du Nord comme une source où le vieux monde devait boire la force et la jeunesse. De son voyage en France (1769), Herder avait rapporté en Allemagne les idées de Diderot et de Rousseau qu’il s’était annexées, comme Wolf s’annexait les idées de d’Aubignac ; car ces « théories de Herder », dont tout le xixe siècle s’est enivré, n’étaient ni plus allemandes ni plus herderiennes que n’étaient germaniques et wolfiennes les « théories de Wolf » ; mais depuis 1770, Herder et les gens de Weimar avaient mené si grand bruit autour d’elles que toute l’Allemagne en avait retenti[1].

Or, à la fin de 1794 ou au début de 1795, pendant que Wolf rédigeait ses Prolégomènes, Herder se proposait de développer, au sujet d’Ossian et de Macpherson, les mêmes idées que Wolf au sujet d’Homère et de Pisistrate. Wolf était un peu inquiet de cet « emprunt », d’autant que Böttiger lui « empruntait » aussi une autre de « ses » idées, pour en tirer une dissertation sur le papyrus, qui devait paraître dans le Merkur de 1796. Wolf commençait à se croire victime de ces attentions trop flatteuses. Il écrivait à Böttiger le 15 mai 1795 : « A Weimar, on me prendra tout décidément, si vous, Goethe et Herder continuez ainsi. Je vois par votre dernière lettre qu’Herder a sur Ossian mes idées ou du moins qu’il voit dans Ossian un diaskeuaste. Comme je voulais dans mon grand ouvrage faire un chapitre sur l’ensemble des Carmina celtica, je me suis abstenu

  1. Cf. G. Finsler, Homer in der Neuzeit, p. 428 et suivantes.