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LA FRANCE INTELLECTUELLE

égoïste ; non, pour ces méditatifs et ces saints dont Bouddha reste la plus légendaire figure. Le suicide ne nous délivre pas de l’illusion, car nos corps et nos âmes revivront sous d’autres formes, et, n’étant pas plus purs, souffriront à nouveau. La stérilité sera toujours vaincue par le désir, qui est l’aiguillon de la vie. Il faut vivre et il faut donner la vie. Mais comment atteindre ce Nirvâna ? Comment, après tous les mensonges de la Maya, éviterons-nous la douleur ? Anéantissons tout ce qui nous leurre, supprimons dès cette vie le moi misérable qui nous tourmentait, consacrons toute notre énergie à purifier, à guérir les accès de ce même désir extirpé de notre être. La Science, et sa sœur la Pitié nous délivreront du mal de vivre. Mais on n’obtiendra la science et la pitié qu’au prix du sacrifice et de l’effort librement pratiqués. L’ascétisme naît à son tour du pessimisme, comme le pessimisme était né du panthéisme. Il est le lotus inattendu et sublime qui s’élève sur l’écroulement des choses. Le Bouddhisme est la couronne logique de la pensée hindoue.

Je ne crois pas qu’il y ait d’autre exemple, dans l’histoire de l’esprit humain, d’une doctrine qui ait ainsi concilié sans effort le panthéisme des sens, le pessimisme de l’esprit, l’ascétisme de l’âme, à travers l’évolution millénaire d’une race de trois cents millions d’hommes. Là où nos philosophies et nos religions n’ont pu trouver que contradiction, le génie de l’Inde spontanément atteint l’unité. On conçoit quelle joie dut éprouver Jean Lahor, quand il entra pour la première fois dans ce large fleuve sacré de la poésie et de la pensée, quand il s’y lava de tous ses doutes, quand, se laissant emporter par la magni-