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LE SERVITEUR

portais avec toi que les soucis de ta vie actuelle. Le passé, pour toi, c’était un horizon lointain que ne pouvaient plus atteindre tes regards. Ce n’étaient que tes souliers d’homme de cinquante ans qui écrasaient le gravier sur la route où, gamin de dix ans, plus d’une fois tu avais dû courir pieds nus.

Tu ne fréquentais pas les hommes de ton âge. Je ne t’ai pas connu un seul véritable ami avec qui tu prisses plaisir à avoir de longues conversations. Pour les rencontrer il t’aurait fallu aller les chercher aux heures du repos dans les cafés et dans les auberges. Car presque tous y vont. C’est là que parfois se nouent de solides relations devant une demi-douzaine de canettes. Ce sont des endroits où l’on vient oublier qu’il faudra demain se remettre au travail. Dans la fumée des cigarettes et des pipes tandis que sur le tapis vert les billes blanches et rouges s’entrechoquent et que sur d’autres tapis les cartes s’abattent comme un vol de mouettes, il y a là de belles heures à vivre. Tout le monde va au café, depuis le maire jusqu’aux petits commerçants, en passant par les bourgeois. Tous les ouvriers comme toi vont à l’au-