Page:Bachelin - Le Serviteur.djvu/21

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je ne puis ne pas penser à toi, héros obscur que n’environnent ni les éclats des trompettes ni le fracas de l’artilierie, saint qui jamais ne seras canonisé.

Pour ne les avoir pas plus fréquentés, tu ne sais pas davantage ce qu’inventent nos penseurs d’au jourd’hui. Je ne crois pas que tu aies jamais su qu’il existât des mots tels que « littérature » et « philosophie ». Or, bien plus que des mots, ce sont des citadelles que défendent, à force de discussions, d’arguments et de livres, les fils de ces seigneurs, de ces maîtres de forges, de ces officiers, à qui la fortune amassée par leurs parents et leurs ancêtres permet ces loisirs. Ils cultivent en serres chaudes les idées et le lyrisme, comme certains bourgeois de chez nous cultivaient quelques plantes rares : moins par conviction que par désœuvrement. Mais je ne peux oublier que tu étais chargé de mettre, au pied de ces plantes rares, le fumier malodorant. Et ce n’est pas tout à fait ma faute si, pour toutes leurs vaines œuvres, j’éprouve une répulsion que je ne puis surmonter. Ils croient régenter l’univers, et c’est la mode passagère qui oriente leurs prétendus efforts. C’était toi qui avais