Page:Bachelin - Le Serviteur.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
LE SERVITEUR

ressemble à une glacière. Tes enfants se dispersent parmi les haies et les buissons pour y chercher des racines qu’ils dévorent. Tu n’as pas fini, car voici les inondations et de nouveaux impôts. Momie vivante en haillons de toile, tu te nourris maintenant de pain de fougères « et le royaume se tourne en un vaste hôpital, de mourants et de désespérés ». Tes filles, véritable fumier ambulant, n’ont ni bas ni souliers. Ta femme, à vingt-huit ans en paraît avoir soixante-dix tant elle est courbée, tant sa figure est ridée et durcie par le travail. Ah ! Tu peux être fier de toi ! Tu n’as pas entendu les violons du roi. Tu n’entends donc pas davantage les éclats de rire qui partent des fins soupers de Paris ? Tu n’écoutes pas celui qui dit que tu es bête à manger du foin ?

Clos et parqué de père en fils dans ton hameau, sans autre enseignement que le prône du dimanche, l’esprit raccorni par la misère, depuis des siècles tu n’as pas plus changé que ta maison. Tu es né vieux, mais immortel. Tu es né à l’âge où l’on abandonne les vastes espoirs et les vains projets. Tu représentes, de notre peuple, la force résistante dont la pire misère n’aura