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LE SERVITEUR

faite et parfois plus vite eacore mangée. Tu n’eus même pas une écorchure. Fait prisonnier, tu fus emmené à Magdebourg. Là tu écrivis tes souvenirs de campagne sur un carnet de papier rugueux que j’ai tenu, jadis, plus d’une fois entre mes mains et que d’autres mains ont pour toujours égaré ; je ne me console pas de ne l’avoir point retrouvé. Des Prussiens, tu avais conservé la vision d’hommes à barbe jaune ou rousse, goinfres, et qui criaient à tout propos : Capout ! Tu croyais à l’Alsace-Lorraine comme à la patrie. Ta voix tremblait quand tu parlais des « Adieux de l’Alsace à la France » qu’après la guerre jouaient tous les orphéons, toutes les fanfares, toutes les musiques militaires, tous les orchestres :

France, à bientôt ! Car la sainte espérance
Emplit nos cœurs en te disant adieu.
En attendant l’heure de délivrance,
Pour l’avenir, nous allons prier Dieu.

Tu fus « délivré » avant l’Alsace. À Vincennes, tu retrouvas tes occupations. Deux ans après tu te mariais. À vous deux vous possédiez quelques économies. L’instant était venu