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DE LA SAGESSE

et la détruire ; mais qu’au contraire l’art tombe au pouvoir de la nature, et est forcé de lui obéir, comme une femme mariée l’est d’obéir à son époux[1].


XXIII. Prométhée ou du véritable état de l’homme (de la condition humaine)


Suivant une antique tradition, l’homme fut l’ouvrage de Prométhée, et fut formé du limon de la terre ; cependant Prométhée joignit à la masse quelques

  1. L’art ne peut tuer la nature dont il vit lui-même ; mais il peut quelquefois la surpasser en l’imitant. Au reste, cette fable est encore susceptible des deux et même des trois explications suivantes. Une femme d’une rare beauté a un grand nombre d’amans distingués par leurs talens et leurs vertus ; elle les rebute tous : enfin paroît un prétendant opulent et magnifique qui l’éblouit par son faste et ses libéralités ; elle préfère l’amant riche à tous ceux qui ne lui ont fait présent que de leur mérite ; et tous les autres meurent de chagrin, ou se tuent de désespoir. Des chymistes cherchent l’élixir de vie et la grande panacée. Dans cette vue, ils s’attachent à l’or, et le soumettent à une infinité d’opérations ; mais durant le cours de leurs recherches éblouis par l’éclat de ce métal, ils s’efforcent de le multiplier pour s’enrichir ; et perdant de vue ce principe de vie qu’ils y cherchoient, ils manquent l’immortalité réelle : ou enfin des gens de lettres, ou des guerriers, voulant tout à la fois s’enrichir et s’immortaliser, et se partageant trop entre les occupations nécessaires pour faire fortune, et les études ou les exercices indispensables pour perfectionner leurs talens, manquent ainsi cette immortalité que donne la gloire, et s’en consolent en ramassant quelques écus.