Page:Bacon - Œuvres, tome 15.djvu/408

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sions, dont on peut tirer parti. Un philosophe d’un esprit très étendu et très pénétrant, qui, après avoir envisagé un sujet par trente de ses faces, se seroit toujours trompé, pourroit encore être très utile à un homme dont l’esprit, quoique borné, auroit plus de justesse et de netteté ; mais qui, n’ayant considéré ce même sujet que par dix de ses faces, auroit toujours saisi la vérité ; car ces vingt faces qu’il auroit dû considérer aussi, et qu’il n’auroit pas même apperçues, le premier pourroit les lui montrer, et sinon les lui faire voir telles qu’elles seroient, du moins l’ avertir de les regarder. L’esprit net et borné triomphe ordinairement en pareil cas, et relève les méprises de l’esprit étendu et inexact, en lui reprochant de s’être trompé sur tous les points ; mais l’autre pourroit lui répondre : je me suis trompé, pour avoir mal vu, et tu t’es trompé, pour n’avoir pas vu assez : je me suis trompé sur tout, et tu t’es trompé sur le tout. C’est principalement dans cet art d’analyser un sujet, de l’envisager par toutes ses faces, et d’en faire, pour ainsi dire, le tour entier, qu’excelle le philosophe que j’interprète. C’est le grand maître d’analyse. Or, l’analyse, comme on sait, est au moins le tiers d’une recherche philosophique ; car la science réelle et active porte sur ces trois bases, l’expérience, l’analyse et l’analogie : encore la troisième rentre-t-elle un peu dans