Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Modèle


Ne bouge plus.

Pol recule à trois pas, incline la tête, me regarde, un œil ferme.

— Avance un peu la jambe.

J’avance.

… Pol, mon ami, qui est peintre, va tenter mon portrait.

Nous étudions, pour commencer, quelques poses : d’abord au coin du pré, avec une casaque rouge, comme Fons quand il laboure ; mais je ne suis pas Fons et j’ai l’air d’un acteur. Ensuite devant ma brouette, la main sur la roue, comme si j’avais roulé dans de la merde ! Puis derrière, entre les brancards, ce qui vaut déjà mieux. Seulement la brouette était trop verte. Enfin, nous trouvons une attitude plus simple, tout bonnement tel que je viens de me laisser aller sur une chaise, entre les choux, dans le jardin.

Et cela marche…

Je souris. Les doigts aux genoux, je suis un paysan heureux qui se repose. Comme repère, j’ai sous les pieds deux cailloux ; en face, dans la muraille, une brique où raccrocher mes regards.

Je ne bouge pas.

De profil, je sens, plus que je ne vois, le travail sournois de Pol qui, à petits coups, tantôt sur la bouche, tantôt à l’oreille, me chipe un rien de ma ressemblance, puis le colle sur sa toile.

Au bout d’une heure, on peut deviner déjà ce que sera le portrait. Là, mes arbres ; ce rose : mon front.

— Là mes choux ?

Non, ton béret.

Pol est heureux : je suis un modèle excellent, je n’ai bougé qu’une fois, histoire de mettre un peu de calme entre deux coqs qui se battaient.

Le lendemain, à peine levé, Pol installe son chevalet :

— Mon vieux, quand tu voudras.

Je fendais une bûche.

Les pieds à mes cailloux, je tâche de redevenir ce que j’étais