L’air un peu bénet, s’égouttant comme un arbre, l’ancien noceur accepte avec résignation toute cette eau qui lui tombe. Ses lèvres remuent ; il ne voit pas l’auberge ; il ignore qu’il y en ait une et comme Fons, son ancien camarade, se risque dehors et lui tire sa casquette, il répond du tricorne, d’un geste grave qui ne se souvient plus.
Le père Isidore est un moine très pieux : c’est le saint du couvent, mais il chante faux. Pendant sa messe, à peine a-t-il ouvert la bouche pour chanter « Oremus », qu’il n’a déjà plus le ton, tantôt trop haut, tantôt trop bas. Le père Herman, qui le soutient à l’harmonium, a beau lui tendre l’une après l’autre ses notes, il les rate avec une si belle précision, que l’on se demande, en fin de compte, si ce n’est pas l’organiste qui bafouille.
— Je suis, dit le père Isidore, le Terre-Neuve du bon Dieu.
Il entend par là qu’il a déjà sauvé beaucoup d’âmes.
Lorsque, dans la région, quelqu’un va mourir, ce n’est pas au curé, mais au père Isidore que l’on pense. Comme pour le médecin, on peut arriver à n’importe quelle heure : il prend son chapelet, son bréviaire, une croix — sa trousse à lui — et part.
Il a de si bonnes lèvres qu’en le voyant on a moins peur de mourir :
— Prenez courage, dit-il, vous verrez Dieu bientôt.
Il en a soigné tant qu’il juge, mieux qu’un médecin, si la fin est proche ou s’il faudra revenir. Il sait quand il doit commencer les prières des agonisants, allumer le cierge, le fourrer entre les doigts du malade. Et tandis que celui-ci tantôt semble expirer, tantôt reprendre un peu de souffle, le bon père précipite ou ralentit ses prières, de façon que son dernier « Amen » tombe tout chaud, à la sortie, sur cette âme et que le diable ne la puisse prendre.
À ceux qui restent :
— Ne pleurez pas, dit-il, il est au ciel.