Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/156

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et lorsqu’avec ceux qui me connaissant, j’en rencontre un qui ne me connaît pas encore, les premiers me montrent d’un doigt, puis avec la main tout entière se dessinent un petit rond sur l’estomac. Il faut comprendre : « C’est le Monsieur qui vient de Bruxelles. »

Frère Bruno.

À la suite d’un malheur, frère Bruno porte une jambe de bois, un simple pilon attaché par une courroie à ce qui lui reste de la cuisse.

Elle lui permet de marcher à peu près comme les autres, mais avec plus de bruit et l’on entend de loin par où il passe. Comme elle le gênerait à l’office, pour rester debout dans les stalles des frères, les pères lui ont fait une place dans le chœur, où il peut, à sa guise, se lever ou s’asseoir. Quelquefois, au milieu du silence, un grand coup sur les planches annonce que frère Bruno a remué sa jambe.

Il avait encore les deux, lorsqu’un jour, conduisant une charrette, il roula par terre. Il entendit quelque chose comme une branche qui craque et sentit un grand mal au milieu de la cuisse, à l’endroit où sa robe se mouillait de rouge.

Il se traînait sur les mains, quand on le ramassa.

Le médecin, qui habite assez loin, arriva au plus vite, deux heures après. Il n’eut que le temps d’ouvrir sa trousse, mais le bon frère refusa la drogue qu’on voulait lui fourrer sous le nez. Roulant son chapelet, il se laissa découper la peau, tailler la chair, scier l’os, serrant les grains plus fort quand ça brûlait. Il en dit deux dizaines : la première pour Jésus, la seconde pour la Vierge ; à la troisième seulement, en voyant partir sur un linge ce grand morceau de jambe, qui était en somme sa jambe, il fit : « Ouâah ! » et le chapelet tomba.

Frère Joachim.

Je ne sais si frère Joachim profite d’une dispense spéciale, mais dans cette maison où chacun est tenu à se taire, il parle tout le temps. Il ne parle d’ailleurs que de ses poules.