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LE VILLAGE DANS LA BRUYÈRE

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Ce que j’étais


Un monsieur de la ville : un faux-col, des manchettes, des cheveux sur les oreilles pour qu’on me sût artiste.

Pour vivre, je travaillais quelque part à quelque chose. Tout aussi bien j’eusse travaillé autre part à autre chose.

J’avais une bouche moyenne, une moustache moyenne, une taille moyenne ; l’esprit évidemment au-dessus de la moyenne, comme tout le monde.

Je savais que la Vénus de Milo est une belle œuvre et la Joconde aussi.

À cause de mes cheveux, on me croyait peintre. Je répondais : « Non, écrivain. » Je ciselais mes phrases ; à défaut d’âme, je les fourrais de mots : cela ne valait rien.

Je m’ignorais comme tous ceux qui se cherchent dans un miroir. La nature, je la connaissais par les horizons captifs en deux mètres de toiles. Aussi par les « Oh ! » des poètes, et les « Ah ! » des romanciers.

Je n’avais jamais regardé un arbre,

J’ignorais pourquoi au retour la campagne me rendait si triste.