Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/46

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Elle va jusqu’à l’armoire pour prendre un bol, et ce n’est pas très long. Mais pour le lait, il faut qu’elle s’agenouille devant sa table, déplace une chaise, enlève deux paniers, farfouille entre des sacs où, Dieu sait pourquoi, elle a caché sa terrine.

Au moment de me l’offrir, elle reprend le bol parce qu’il y nage une mouche, elle la sauve avec son doigt ; j’aurais préféré la mouche.

— Si vous avez faim, dit-elle, voilà l’armoire.

Elle regarde comment je bois. Trois poules sont entrées et regardent aussi. Je sauve à leur intention une deuxième mouche.

Elle aime beaucoup bavarder ; mais ses idées vont plus vite que ses mots qui se perdent en route.

Je lui montre ses poules :

— Vous n’en avez que trois ?

Elle lève un doigt, puis un autre, puis un autre : cela fait bien trois.

Elle ajoute :

— Il faudrait un coq et mon mari est mort.

Elle veut dire :

— Si mon mari vivait, il me chercherait un coq, ce qui me permettrait d’élever de nouvelles poules.

— Alors, dis-je, voulez-vous que je vous en procure ?

— Oui, fait-elle, un tout blanc et qui boite.

— Qui boite ? Pourquoi ?

Elle ne répond plus.

Comme je vais partir, elle s’étonne de me voir rouler du tabac dans un papier, au lieu de le bourrer dans une pipe. Elle pense à son homme, et à sa pipe.

— Il en avait une, fait-elle.

Elle refuse mon argent, car sans pipe on est pauvre.

— Alors, je vous apporterai un coq.

Avec sa tête, elle fait « non ».

— Oui, dit-elle, un tout blanc et qui boite.

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