Il arrive, pourtant, des mécomptes. Je me souviens d’un bonhomme, grand ami du journal. On tenait prêt un article avec des seaux de pleurs. Le bougre mourut brusquement, d’une arête de brochet, avalée de travers. Cela survint le soir. C’était si bête que le chef, qui disait justement : « Plus souvent, si je mange encore du brochet ! » empoigna mal son article, le répandit en pâte et n’eut jamais le courage d’en rassembler les lignes.
Comme de juste, Villiers est le rédacteur de ces notes. Grave affaire. Il ne suffit pas de les rédiger : il faut les tenir à jour. Il y a celui-ci que l’on croyait presque mort et qui guérit, en voie de devenir un petit vieux bien propre ; il y a cet ami qui, avec le temps, a cessé d’être cet ami. Il faut tenir compte aussi des nuances : un homme de guerre mérite plus de lignes qu’un savant ; un cardinal plus qu’un évêque ; un ministre assassiné plus que son collègue qui se liquéfie, pipi-caca-gâteux, dans son lit.
Tels quels, ces articles, il ne suffit pas de les avoir prêts. Encore faut-il savoir que le grand homme est mort. S’il meurt à l’étranger, il n’y a pas lieu de craindre la concurrence : l’Agence avertit les journaux en même temps. Si le défunt habite le pays ou la ville, mieux vaut se renseigner par ses propres moyens. Cela regarde Jean Lhair. Laissez-le faire : il n’est pas très beau, mais il trouvera le moyen d’enjôler quelque jolie soubrette ou quelque grasse cuisinière pour lui téléphoner : « Il va moins bien… »