Page:Bainville - Bismarck.djvu/128

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percer les intentions du chancelier. Celui-ci fut profondément irrité de se sentir deviné. Il fallait désormais qu’il dissimulât non seulement sa politique et ses manœuvres, mais même ses goûts et ses préférences. M. de Gontaut, qui lui avait toujours été importun, lui devint dès lors insupportable. Le ressentiment de Bismarck s’accrut encore, un peu plus tard, lorsqu’il s’aperçut de l’influence que M. de Gontaut prenait sur les souverains allemands, influence dont les Mémoires de Hohenlohe révèlent toute l’étendue. Ainsi l’on comprend que le chancelier ait poussé ce soupir de soulagement historique que nous rappelions tout à l’heure lorsque, grâce à Gambetta, M. de Saint-Vallier remplaça M. de Gontaut-Biron. C’est la gloire du premier ambassadeur de France à Berlin après la guerre de 1870 d’avoir mérité la haine de Bismarck.

Quelque temps après les événements de 1873, rassuré du côté du comte de Chambord, le chancelier s’abandonna à faire une demi-confidence, que M. de Gontaut-Biron accueillit d’ailleurs avec la méfiance qu’elle méritait, et qu’il interpréta avec lucidité. Ses Souvenirs rapportent l’incident en des termes que leur modération voulue rend encore plus convaincants :

Deux mois après l’échec de la Monarchie, le prince de Bismarck m’avouait franchement qu’il ne le regrettait pas. — « Si nous n’étions pas très sympathiques à l’avènement de M. le comte de Chambord, me dit-il, c’est que nous redoutions l’empire que prendrait sur lui le parti clérical. » Et il se crut obligé d’ajouter : « Et cependant il serait impossible de nous