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réjouir de l’invasion étrangère. Au lendemain d’Iéna, il se marie, il héberge les généraux français, il travaille à ses livres et à sa Théorie des couleurs, avec sa proverbiale sérénité : la tentative de pillage et d’assassinat commise dans sa maison et sur sa personne n’a même pas le don de l’émouvoir. Il conseille à ceux qui lui parlent de cet incident de faire plus attention aux pandours indigènes qu’aux pillards de la Grande-Armée, laquelle a de la discipline. Et quand, après un tour de promenade dans Weimar, il constate que les jardins publics ont seuls un peu souffert et qu’il suffira de quelques heures de jardinage pour remettre les pelouses en bon état, il se console sur-le-champ d’Iéna et d’Auerstædt qui n’ont pas causé plus de dommage. « Avec quelques petits travaux, écrit Gœthe au duc Charles-Auguste, les traces du malheur seront réparées. » Cette petite phrase résume très bien l’état d’esprit allemand de 1806.

Deux ans après Iéna, en 1808, après l’entrevue d’Erfurt, où Napoléon lui adressa son salut fameux, Gœthe écrivait encore :

J’étudie maintenant de nouveau à fond la plus ancienne littérature française pour pouvoir m’entretenir sérieusement avec les Français. Quelle civilisation infinie avait déjà passé sur leur pays à une époque où nous autres, Allemands, nous étions encore des gens grossiers. L’Allemagne n’est rien[1].

Comment, de cet abîme d’avilissement, de ce renoncement des citoyens eux-mêmes, de cet écra-

  1. Voir l’appendice VI : Quand il n’y avait pas d’Allemagne.