Page:Bainville - Bismarck.djvu/165

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civilisation, les lumières et l’art. Elle tenait la première place dans la vie intellectuelle et politique des peuples. Il se passa en Prusse ce que nous avons déjà vu à Weimar et, avec Hegel et Jean de Muller, ce que nous avons constaté pour Gœthe : la déférence et l’admiration pour les Français primèrent tout. Napoléon recueillait ainsi le fruit de deux cents ans de politique capétienne. Il n’en devait profiter que pour commettre cette imprudence d’éveiller le sentiment national allemand.

Qu’il dormait bien, en 1806, ce sentiment national ! Il était dans les limbes. Même dans la Prusse militaire et frédéricienne, le patriotisme était singulièrement assoupi. Les bourgeois de Berlin portaient à l’envi l’uniforme français de la garde nationale et leur zèle était si grand qu’on dut faire défense de le revêtir sans droit. Après tout, Frédéric II parlait et écrivait en français. Il avait fondé à Berlin une académie française. Le conseil le plus écouté de Frédéric-Guillaume III, Lombard, était français d’origine. Tout cela avait préparé les capitulations.

La Prusse livrée à elle-même, la Prusse comme nation était finie. Elle avait abdiqué son indépendance. Elle avait presque renoncé à elle-même. Les rares patriotes passionnés et prêts à risquer leur vie pour chasser l’étranger, se heurtèrent, comme le major Schill, à l’indifférence générale. On les laissa fusiller sans protestation. La Prusse semblait perdue et résignée à son démembrement et à sa fin. Que lui restait-il d’où pût lui venir le