dompter le Parlement, puisque le Parlement ne pouvait comprendre. Room finit par convaincre le roi que Bismarck était l’homme nécessaire. Guillaume faisait encore quelques objections et quelque résistance : il fallut la gravité de la situation pour le libérer de ses préjugés.
La fortune de Bismarck allait se décider. Il le savait. Et c’est peut-être le moment de sa vie, féconde en circonstances critiques, où il se montra le plus ému et le plus nerveux. Incapable de tenir en place, il courait le midi de la France. C’est à Avignon que, le 18 septembre 1862, le joignirent deux dépêches éloquentes dans leur brièveté ; L’une venait de son fidèle Roon et portait : « Periculum in mora. Dépêchez-vous. » L’autre, anonyme ; était plus vulgaire mais plus symbolique : « La poire est mûre », disait-elle. C’est sur cette métaphore jardinière que Bismarck gagna Berlin pour y former l’Europe selon sa volonté et y exécuter des projets si longtemps médités, si menacés de rester dans le domaine des chimères et auxquels la fortune venait enfin de se montrer favorable.
Mais peut-être n’eût-il pas convenu de parler à Bismarck de la fortune. Il connaissait à sa divinité bienfaitrice une figure et un nom plus précis : c’était l’intérêt clairvoyant de son monarque, c’était l’institution monarchique, qui, en réalité, l’avaient élu. Il n’a pas fallu moins qu’une grande dynastie pour imposer ce grand ministre à la Prusse et à l’Allemagne.