Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/102

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faire place à un cabinet patriote. Le « comité autrichien » des Tuileries fut dénoncé comme coupable de complot contre la patrie. Et l’accusation atteignait le roi, atteignait la reine, la sœur de l’Empereur, née chez l’ennemi héréditaire, l’« Autrichienne », pour tout dire d’un mot qui devait lui coûter la vie. Dans le procès de Lessart, Vergniaud, pour la première fois, lança la terrible insinuation contre la famille royale « De cette tribune où je vous parle, s’écriait-il à l’Assemblée, on aperçoit le palais où des conseillers pervers égarent et trompent le roi que la Constitution nous a donné, préparent les manœuvres qui doivent nous livrer à la maison d’Autriche. Je vois les fenêtres du palais où l’on trame la contre-révolution ». Autriche, contre-révolution, les deux idées sont dès lors associées…

Il n’y a sans doute pas de Français, si royaliste soit-il, qui ne se sente gêné lorsqu’il apparaît qu’une fois la guerre déclarée à l’Autriche, la cour de France a continué ses relations avec la cour de Vienne. Il faut un peu de réflexion pour se dire qu’aux Tuileries l’Autriche ne cessait pas d’être considérée comme une alliée, qu’on n’y connaissait pas d’ennemis à Vienne et qu’une guerre, dans ces conditions, paraissait une absurdité désastreuse. Pour fixer les idées, imaginons qu’une Chambre animée de passions subversives ait, au mois d’avril 1914, voulu rompre l’alliance franco-russe et décrété une guerre de principe contre la Russie autocratique. M. Poincaré et un certain nombre d’hommes d’État républicains se fussent opposés à cette folie. Ils eussent maintenu leurs bonnes relations avec les alliés de Pétrograd. Si le mouvement révolutionnaire en France eût pris une allure dangereuse, ils eussent sans doute trouvé naturel de rechercher auprès de l’empereur Nicolas un appui contre l’anarchie. Voilà comment les choses se sont passées pour Louis XVI et pour l’Autriche : quelques imprudences de langage de Marie-Antoinette n’y changent rien et l’accusation de trahison est absurde. Marie-Antoinette eut le tort des femmes qui se mêlent de politique sans en parler le langage, qui la transposent tout de suite dans le domaine du sentiment et qui la peignent des couleurs de la passion. Étaient-ce des traîtres, voulaient-ils livrer la France à l’ennemi, ces révolutionnaires modérés, ces constitutionnels comme les