Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à la nature. Il avait enseigné que plus un peuple est jeune et neuf, meilleur il est ; que moins il est avancé en civilisation, plus il est vertueux. Cette idée fut accueillie par les Allemands avec enthousiasme. Elle vengeait, elle réhabilitait l’Allemagne dont l’apport à la civilisation générale avait été jusque-là presque nul : de ce néant, elle put s’enorgueillir comme d’une virginité. De là est venue cette légende de la pure et vertueuse Allemagne, légende à laquelle la France a cru si longtemps à la suite de Mme  de Staël. Herder, et après lui Fichte et les promoteurs du relèvement national de l’Allemagne, se sont servis de cette idée. Ils ont enseigné que le tour de l’Allemagne était venu, qu’elle avait non seulement sa destinée à remplir, mais aussi sa mission à accomplir. Le peuple allemand sera désormais le peuple prédestiné, le peuple du Seigneur, celui dont la tâche sera d’introduire le monde dans la voie de la moralité et du progrès. Ce thème, on le reconnaît c’est celui de la kultur, celui de l’appel des quatre-vingt-treize intellectuels allemands, le principe essentiel qui a exalté l’Allemagne de nos jours, qui l’a poussée à la guerre de 1914, à l’invasion de la France et de la Belgique, à la domination de l’Europe.

Un publiciste de Nuremberg, nommé Ehrard, écrivait dès 1794 « Les Allemands à la fin ne défendront-ils pas eux-mêmes leurs droits ? Je ne suis point aristocrate, mais je ne puis consentir que la raison française prétende mettre en tutelle ma raison allemande. » Ainsi la Révolution n’avait pas plus tôt affranchi la raison allemande que celle-ci prenait l’offensive, par un mouvement naturel, contre ses libérateurs. Les doctrines de la Révolution, en se répandant hors de France, tournaient de cette manière leurs effets contre nous. Une fois lancé à travers une Europe démantelée et désorganisée par nos propres victoires, le principe des nationalités, ferment des luttes prochaines pour la constitution de l’unité allemande, allait apporter aux imprudents et malheureux Français une longue suite de fléaux.

1813, 1815 ; la « bataille des nations » ; Waterloo ; les conquêtes perdues, l’empire napoléonien effondré comme un château de cartes, la France deux fois envahie : c’est la fin d’un