Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/112

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politiques qu’ils doivent travailler pour les masses sans espérer d’être remerciés ni même d’être compris, c’est bien celui-là. Et c’est encore, dans notre histoire, un nouveau scandale pour l’intelligence que les Français aient si violemment haï des traités qui, dans la situation détestable où les avaient laissés la Révolution et l’Empire, leur rendaient, presque intact dans ses anciennes limites, le territoire que les vainqueurs se proposaient de partager. En outre, ces traités détournaient de nous le péril de voir se former à nos frontières des puissances redoutables. Des livres savants ont reconnu, de notre temps, que les négociations de 1814 et de 1815 avaient été magistralement conduites : pourtant le retour de l’île d’Elbe, la funeste faiblesse de Ney et la défaite de Waterloo ne les avaient pas facilitées. Si Louis XVIII et son génial manœuvrier, Talleyrand, sont cités comme des modèles aujourd’hui, c’est un peu tard, et le mal est fait. En prose et en vers Louis XVIII et Talleyrand ont été honnis, injuriés, diffamés par les grands poètes, et par les petits journalistes. Le service que ces deux hommes avaient rendu à la France a été effroyablement méconnu. De nos jours même, c’est presque en vain qu’un des historiens de 1815 a écrit « Se figure-t-on la France, au lendemain de la guerre de 1870, concluant avec la Saxe, la Bavière et le Wurtemberg un traité d’alliance contre la Prusse ? Se représente-t-on quelle force morale nous aurait procurée ce pacte, quelle confiance nous aurait rendue cette revanche diplomatique de nos défaites militaires ? C’est d’un bienfait de ce genre que la France de 1814 a été redevable à Talleyrand. » Et à Louis XVIII, qui a dirigé avec clairvoyance toutes les négociations de Vienne, comme en fait foi sa correspondance. Répétons qu’il est affligeant pour la renommée d’un peuple aussi intelligent que le peuple français, dont chaque citoyen est richement doué de bon sens clairvoyant pour ses intérêts privés, qu’il ait fallu, une troisième invasion et un troisième désastre pour qu’il commençât à comprendre, et encore dans son élite seulement, ce qui avait été fait en 1815 : pour réparer les erreurs et les folies d’une génération.

Le plus grand résultat, le plus utile que Louis XVIII eût obtenu, c’était d’empêcher que la part prise par la Prusse à la défaite de l’Empire napoléonien aboutît à la formation d’une