sur des assises aussi vastes et aussi puissantes, pourrait être à la merci des événements qui ont renversé les civilisations antiques ? Lorsqu’on nous dit que les anciens Égyptiens avaient déterminé, comme l’attestent les mesures symboliques de la grande pyramide, la distance de la terre au soleil, résultat que l’astronomie n’a retrouvé que de nos jours, nous nous consolons par la pensée que la science, en ce temps-là, était comme un secret transmis à un petit nombre d’hommes et qui pouvait périr facilement. Nous nous disons qu’il ne peut pas en être de même aujourd’hui, car la science, universellement répandue, appartient à tous. Au fait, qu’en savons-nous ?
Sans doute, le dix-neuvième siècle a eu ses pessimistes qui ont annoncé des catastrophes. C’étaient, en général, des excentriques ou des fantaisistes. Ils ne concevaient guère qu’un drame rapide et brutal. Ils avaient une vision romantique de la fin du monde dans une ruée de barbares, oubliant que l’agonie de l’empire romain avait été longue avec des repos et des transitions.
Quant aux penseurs les plus illustres et qui passaient pour les plus sérieux, quant aux théoriciens du progrès, leur confiance était imperturbable. Tenez : un homme qui avait la foi, c’était Condorcet. Ce philosophe, qui avait eu le tort de faire de la politique, avait dû fuir et se cacher, pendant la Révolution, pour échapper à la guillotine. Il fut d’ailleurs arrêté un jour aux environs de Paris, dans une auberge, s’étant rendu suspect d’aristocratisme pour n’avoir pas su dire de combien d’œufs il voulait son omelette. Il s’empoisonna dans sa prison. C’est au moment où il était traqué par la Terreur que Condorcet écrivit pourtant son Tableau historique des progrès de l’esprit humain. Et dans quelles hypothèses concevait-il que les progrès de l’esprit humain pourraient être arrêtés ? Dans une seule, celle d’une révolution physique, d’un cataclysme terrestre ou cosmique, hypothèse tellement vague, tellement lointaine qu’elle ne comptait même pas. Comme le guerrier gaulois, Condorcet craignait seulement que le ciel tombât sur nos têtes.
Renan était du même avis. Pour lui, le progrès, c’était la petite tour d’acier qui s’élève sans cesse. On ne pouvait prévoir jusqu’où elle aurait monté dans cent ans, mille ans, cent mille