Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/122

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le « dernier bienfait de la monarchie », un bienfait dont nous venons d’éprouver tout le prix. Combien de Français se doutent en ce moment qu’ils ont été protégés, à près de quatre-vingts ans de distance, par la pensée salutaire du plus ridiculisé peut-être de tous nos chefs d’État ? Les Français d’alors n’y avaient rien compris. Leur légèreté, leur aveuglement avaient été effroyables. La politique « que le peuple élaborait depuis 1815 » méprisait les prudentes conceptions diplomatiques qui devaient un jour sauver la nation. La démocratie n’était pas éloignée de voir une trahison dans toute œuvre de salut public. Qu’on la laissât faire elle assurerait en quelques instants la grandeur de la France et le bonheur des peuples. Déplorable présomption.

C’est en excitant la « maladie de 1815 » que les éléments républicains et bonapartistes, unis par la même pensée qui avait fait de Napoléon l’exécuteur du programme révolutionnaire, ont entretenu l’impopularité de la monarchie de Juillet. Par elle, la France était inactive et humiliée en Europe ainsi parlaient avec une ardeur persuasive les « patriotes » qui voulaient la guerre contre les rois. « Honte, mille fois honte à l’impertinent et lâche système qui veut proclamer l’égoïsme politique de la France », s’écriait Armand Carrel. La « cause des peuples » enivrait ces fils de 1792. Comme Louis Blanc l’a écrit dans son Histoire de dix ans : « La passion démocratique vivait alors plus de la vie des autres nations que de la sienne propre. » Et c’est Louis Blanc qui a dit encore « Nous vivions surtout en Pologne. » Non pas seulement en Pologne : la démocratie vivait encore en Italie, en Allemagne, partout, sauf en France. Comme on voit bien que la France n’avait pas alors auprès d’elle la menace d’un vaste Empire militaire, toujours prêt à l’inonder de ses millions de soldats !

Les rêveries, les illusions d’une foule ignorante, d’une jeunesse enthousiaste et mystique, de meneurs exaltés par la lecture solitaire trouvent peut-être une excuse au jugement des Français d’aujourd’hui, sensibles à cette exaltation et à ce lyrisme, quoique les effets s’en fassent cruellement sentir pour nous. Cette excuse n’existe pas pour des hommes mûrs, gourmés, rompus aux affaires, à qui leur éducation, leur rang social auraient dû procurer les moyens d’acquérir de l’expérience et