Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/131

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ne s’est jamais plaint, pas plus que ne s’étaient plaints Louis-Philippe ou Charles X. Il a dédaigné d’expliquer ce qu’il avait voulu faire pour son pays. Il a emporté son secret…

Il a fallu que la démocratie trouvât dans un deuxième Napoléon son fondé de pouvoir pour que sa politique prévalût, pour que la « cause des peuples » triomphât. La deuxième République avait vécu du pur amour des nationalités opprimées, brûlé du désir de les aider à faire leur unité. Michelet a raconté plus tard ses sentiments, son émotion, partagés par tous les témoins, quand, à la fête du 4 mars 1848, devant la Madeleine, parmi les drapeaux qu’apportaient les députations d’exilés des pays opprimés, il vit « le grand drapeau de l’Allemagne, si noble (noir, rouge et or), le saint drapeau de Luther, Kant et Fichte, Schiller, Beethoven, et à côté le charmant tricolore vert de l’Italie ». Rappelant ces souvenirs, chers à son cœur, Michelet s’écriait vingt-deux ans plus tard « Quelle émotion ! Que de vœux pour l’unité de ces peuples ! Dieu nous donne, disions-nous, de voir une grande et puissante Allemagne, une grande et puissante Italie. Le concile européen reste incomplet, inharmonique, sujet aux fantaisies cruelles, aux guerres impies des rois, tant que ces hauts génies de peuples n’y siègent pas dans leur majesté, n’ajoutent pas un nouvel élément de sagesse et de paix au fraternel équilibre du monde. » Monument de toutes les illusions du libéralisme et de la démocratie ! Texte étrange à relire aujourd’hui, texte qui éclaire aussi notre histoire et qu’il faudra mettre en épigraphe d’une future histoire philosophique de la guerre de 1914 !

Pourtant, les mois qui suivirent la Révolution de Février ne favorisèrent pas la cause des peuples. L’unité italienne fut battue à Novare. L’unité allemande échoua au Parlement de Francfort. Cet échec était aussi celui de la révolution allemande, une révolution à l’image de celle de 1789, qui voulait fonder la nation germanique par la liberté. Car la révolution et même la République, qu’un si grand nombre de nos contemporains ont vues dans l’avenir de l’Allemagne, appartiennent à son passé.

Les nationalistes, — on dirait aujourd’hui les pangermanistes, — du Parlement de Francfort espéraient donner au patriotisme allemand la satisfaction et la réparation qu’il atten-