Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/148

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n’était capable de cela. Quel n’eût pas été notre destin si, chez nous, la prévoyance eût été égale au courage, si le cerveau de l’État eût été aussi bon que le cœur des citoyens !

Il y a quelques années, — si l’on veut bien nous pardonner de nous citer nous-mêmes, nous écrivions qu’il n’avait jamais été plus opportun de reprendre l’image fameuse de Prévost-Paradol avant 1870. Les deux locomotives lancées sur la même voie à la rencontre l’une de l’autre, et dont Prévost-Paradol avait parlé à la fin du second Empire, ce n’était plus seulement la France et la Prusse : c’était le monde germanique d’un côté, la Triple-Entente de l’autre[1]. Un lieu commun, généralement reçu, développé dans des discours et dans des journaux innombrables, a permis de soutenir jusqu’au jour de la déclaration de la guerre que la Triplice et la Triple-Entente avaient reconstitué l’équilibre de l’Europe, que les deux systèmes d’alliances se faisaient l’un à l’autre contrepoids, que le risque de guerre était par là-même écarté. Equilibre dangereusement instable, en réalité. La France, la Russie, l’Angleterre, malgré tout ce qui avait pu les séparer, avaient fini par unir leurs forces contre le péril commun. Mais cette coalition, n’eût-elle existé que sur le papier, faisait craindre à l’Allemagne de ne plus être, et surtout de ne plus paraître, la plus forte. Or, il fallait que la réputation de sa supériorité militaire restât intacte. De là, des armements toujours croissants, un effort plus grand chaque fois qu’un événement nouveau, survenant dans la situation politique, semblait propre à diminuer le prestige de l’Allemagne en Europe. De son côté, la Triple Entente, à regret le plus souvent, avec lenteur et avec retard, devait se mettre à égalité avec l’Empire allemand. Cette marche parallèle des deux groupes ne pouvait se prolonger à l’infini. Une pareille rivalité ne pouvait se terminer autrement que par la guerre.

La Triple-Entente n’a fait que suivre les impulsions venues de Berlin. Elle n’a fait que répliquer, — insuffisamment, d’ail-

  1. Voir notre livre le Coup d’Agadir et la guerre d’Orient (N. L. N.).