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CHAPITRE PREMIER

L’ÉVANGILE DE SAINTE-HÉLÈNE


« Nous demeurons les martyrs d’une cause immortelle. Nous luttons ici contre l’oppression des dieux et les vœux des nations sont pour nous. »
Mémorial de Sainte-Hélène.


MA généalogie ne remonte pas haut et je ne suis pas riche en papiers de famille. Bien des fois, dans mon enfance, j’ai entendu raconter que, sous la Terreur, tandis que tremblait le monde, un de mes arrière-grands-oncles avait profité du vaste remue-ménage pour épouser, malgré ses parents, une blanchisseuse dont il était épris.

Lorsque nous lisons l’histoire, il semble toujours qu’aux périodes de grand drame les hommes n’aient pas détaché les yeux du théâtre des affaires publiques. Pourtant, les luttes de la Convention et la guillotine avaient laissé à ce jeune homme l’esprit libre et le cœur léger. Du bouleversement général, il avait retenu ce qui était propice à ses amours. La chute de l’ancienne morale et de l’autorité paternelle lui avait paru le résultat le plus clair de ces immenses événements. Quatre-vingt-dix ans plus tard, on parlait encore chez nous de ce mariage comme d’un scandale, en sorte que la principale horreur de la Révolution semblait consister dans la fantaisie de ce libertaire qui avait pris femme à la boutique de Madame Sans-Gêne.

L’idée de mésalliance a ses degrés. Tel qu’il s’est transmis jusqu’à moi, le récit de ce mariage sous la Terreur permet de déduire qu’il s’agissait d’une famille de bourgeoisie modeste et fraîchement promue qui s’estimait pourtant supérieure à l’ou-