Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/176

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paru à peu près désespérées. Lorsque Victor Cousin prononçait son mot célèbre « Non ! nous n’avons pas été vaincus à Waterloo », il ne pensait pas au désastre réparé. Il ne voyait pas d’où nous revenions. Il voulait dire que la défaite était rachetée, et au delà, par l’introduction en France du régime des assemblées. Comme on voit que, du temps de Cousin, les jeunes philosophes n’allaient pas à la caserne et qu’il n’y avait pas une grande Allemagne toujours prête à envahir notre pays !

Cependant les royalistes ultras ne pensaient qu’aux crimes de la Terreur. Leurs adversaires leur reprochaient l’émigration. Les monarchistes libéraux préparaient une révolution sur le modèle de la Révolution anglaise de 1688, c’est-à-dire la substitution d’une dynastie à une autre, ce qui leur paraissait le fin du fin. Les républicains et les bonapartistes les appuyaient, dans l’idée, d’ailleurs juste, que la chute des Bourbons de la branche aînée serait autant de gagné pour eux. Lequel, parmi les partis, pensait à l’intérêt national ? Ces élus d’un suffrage restreint et censitaire, ces représentants de propriétaires et de bourgeois, ajoutaient aux vices ordinaires du régime des assemblées une sorte de corruption spéciale : ils goûtaient la volupté de l’opposition, la popularité qu’elle procure. Ils y ajoutaient, pareils au bûcheron de la légende, le plaisir de scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Tous les corps suivaient ce mouvement. Pairs héréditaires, juges inamovibles, personne ne se croyait distingué à moins de démolir quelque chose. Des hommes graves, riches, posés, se payaient le luxe de se détruire eux-mêmes pourvu qu’ils eussent détruit le pouvoir. Les magistrats, dans les procès politiques, prononçaient des acquittements scandaleux dont les récompensait la flatterie des journaux avancés. Villèle en venait à regretter le jury dont le bon sens eût corrigé la vanité de la magistrature. Que n’a-t-il pensé que, pareillement, le suffrage universel eût exercé une influence modératrice, tandis que la Chambre censitaire était toujours en représentation ? Elle faisait du théâtre, même à ses risques et périls. L’expérience l’a prouvé : le suffrage universel est conservateur de tous les régimes parce qu’il s’attache plus aux intérêts qu’aux idées et aux choses qu’aux mots. Trop tard, sous Louis-Phi-