Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/193

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tous les êtres qui prennent leur essor. Pas plus en Angleterre qu’en France on ne se doutait des maux que contenait le germe de l’unité allemande. Le patriotisme germanique apparaissait comme loyal et désintéressé, une grande nation germanique comme utile et comme indispensable à une rénovation libérale de l’Europe. Ces patriotes allemands n’étaient-ils pas, d’ailleurs, presque tous des libéraux ? N’était-ce pas ces philosophes, ces historiens vénérés, dont les idées régnaient sur le monde ? Que l’on était loin d’imaginer que, de ces Universités du Rhin ou du Hanovre, sanctuaires de la pensée, sortiraient un jour des intellectuels pleins de rage ! Tout était au culte de cette « grave Allemagne » dont Lamartine saluait « les nobles fils ». Il était facile de contrarier la politique de Metternich, facile de tourner en ridicule ses images. Mais il a fallu la guerre de 1914 pour savoir ce que sa peste, son volcan, son cancer, son déluge représentaient d’affreuses réalités.

La Prusse jugeait que les traités de 1815 l’avaient dupée en lui retirant les fruits de la victoire. Ils lui refusaient, en effet, la place qu’elle revendiquait, à la tête de l’Allemagne. Son rôle dans le mouvement national de 1813, et Blücher à Waterloo, l’avaient désignée au patriotisme allemand, déjà réveillé par le premier des héros germaniques qui eût reparu depuis les temps modernes Frédéric II. L’avenir de la Prusse, c’était l’unité allemande, objet d’aspirations vagues, et qui ne prendrait forme qu’autour d’une solide organisation politique. Tel était justement l’État prussien. La Sainte-Alliance avait été assez prévoyante pour fermer cette voie aux Hohenzollern : ils tentèrent de l’ouvrir sans éveiller l’attention.

Pendant des années, on a parlé du Zollverein comme on parle aujourd’hui du Mitteleuropa. C’était un mot qui, à force de circuler, n’offrait plus rien de réel aux imaginations. Le bourgeois français lisait parfois, dans le Constitutionnel, qu’une nouvelle principauté allemande avait adhéré à l’union douanière présidée par la Prusse. Ni son esprit ni son journal n’en tiraient aucune conclusion. On était à mille lieues d’entrevoir les menaces portées par ces signes avant-coureurs de l’unité politique de l’Allemagne.

L’année 1833 fut pleine de sourires pour Thiers, ministre d’un cabinet du « juste milieu » et candidat heureux à l’Aca-