Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/205

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même que la guerre de 1864 contre le Danemark, la guerre de 1866 a été inspirée, suggérée à Bismarck par les libéraux de Francfort. Mais, tout en voulant briser la puissance de l’Autriche hostile à l’unité allemande, les pangermanistes de 1848 comptaient bien la faire rentrer un jour, humiliée et affaiblie, dans le futur État allemand. La conception du Mitteleuropa était aussi nette dans leur esprit qu’elle l’est aujourd’hui dans celui de Frédéric Naumann. Mais ce n’étaient pas seulement les vieilles provinces de langue allemande qu’ils voulaient réunir. C’étaient aussi les dépendances de la maison de Habsbourg, c’était la Vénétie et la Lombardie. Lorsque Radetzky partit à la rencontre de Charles-Albert pour écraser l’indépendance italienne, le Parlement de Francfort fit pour lui des vœux solennels. Quoique, vingt ans plus tard, l’unité allemande et l’unité italienne dussent s’accomplir ensemble et en se prêtant un appui réciproque, l’Allemagne se considérait déjà comme l’héritière de l’Autriche. Elle était prête à prendre sa place partout, jusqu’en Italie.

Il ne manquait au libéralisme allemand qu’une chose pour exécuter ce programme, mais c’était une chose essentielle : il lui manquait de s’appuyer sur un État robuste. Il ne tarda pas à reconnaître que l’idée d’une politique à la fois nationale et républicaine, en Allemagne comme en France, se heurtait aux réalités de la politique et de la vie. Pour prendre forme, pour aboutir, le rêve allemand devait, comme le rêve français, trouver un ouvrier et recourir aux éternels moyens de la force et de la guerre. Les principes libéraux ne suffiraient pas à rénover le monde.

Il semblait que le peuple français et le peuple allemand voulussent alors les mêmes choses parce que l’abolition des traités de 1815 était également dans leurs vœux. Mais l’Allemagne y voyait avant tout ce qui la gênait pour former son unité et devenir une seule et grande nation. La France y voyait, avec la mutilation de ses frontières, l’oppression et la tyrannie pesant sur les peuples. L’Allemagne était égoïste tandis que la France ne séparait pas sa cause de celle d’autrui. L’Allemagne voulait travailler pour elle seule, et la France était désintéressée. La guerre de 1870 était en germe dans ce désaccord. Pour ne pas avoir compris que le libéralisme allemand était à