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CHAPITRE V

L’OCCASION DE DÉTRUIRE LE MILITARISME PRUSSIEN EST MANQUÉE


To heirs unknown descends the unguarded store.
Pope.


UN matin du mois de novembre 1850, M. de Beust, ministre des Affaires étrangères du royaume de Saxe, reçut la visite de son médecin qui observa un épanchement de bile. « C’est bien possible », dit Beust. Et il ajouta « Je suis comme un joueur qui aurait dix-huit à point et qui verrait son partenaire renoncer à la partie ».

Il venait, en effet, de se passer ceci. Les États secondaires d’Allemagne, unis à l’Autriche, étaient entrés en conflit avec la Prusse dont les ambitions commençaient à se découvrir. La Prusse visait à prendre la tête du mouvement unitaire allemand. Elle y était encouragée par le vote du Parlement de Francfort. Frédéric-Guillaume avait dédaigné la « couronne de boue » que lui avait offerte une assemblée impuissante. Il n’en était pas moins le candidat désigné, et le plan qui devait être exécuté un jour par Bismarck s’ébauchait. Il s’agissait d’écarter l’Autriche des affaires allemandes, puis, cela fait, cette rivale supprimée, d’ « avaler » royaumes, duchés et villes libres. Les petites cours, un moment inattentives au péril, s’étaient ressaisies à temps et, remises d’aplomb depuis l’échec des libéraux unitaires de Francfort, elles s’étaient groupées autour de l’Autriche. La Prusse, qui s’était lancée dans cette aventure avec des forces insuffisantes, risquait de la payer cher. L’entrée des troupes fédérales à Berlin était assurée et l’Europe, sans s’en douter, allait passer à côté de son salut,