Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/213

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rieur, soit pour les agitations à l’extérieur, sûrs seulement d’une chose, c’est que les modérés de l’école de Lamartine ou de Cavaignac ne plaisaient pas à l’Élysée, et ils ne voulaient que ce que voulait leur héros.

Au début, le président avait compté avec l’assemblée. Dans les affaires de Rome, il avait accepté le point de vue conservateur afin de ne pas s’aliéner à l’intérieur les catholiques. Mais, au fond du cœur, n’était-il pas avec ces manifestants et ces émeutiers de la place du Château-d’Eau qui réclamaient la République romaine, aurore de l’unité italienne ? Louis-Napoléon s’enhardit par ce mouvement de la rue parisienne qui répondait à ses propres pensées. Il obtint que la France secourût les Hongrois, alors si chers aux libéraux français, après avoir déclaré que « la peau de Kossuth valait au besoin la guerre ». Pour Kossuth, pour la Hongrie, que n’eût-on pas fait ! Bientôt, un démocrate, Jules Favre, vint provoquer le prince-président à la tribune en lui rappelant son passé et la part qu’il avait prise, dix-huit ans plus tôt, à la Révolution romaine. Les cris du Château-d’Eau, le discours de Jules Favre, ce fut comme le réveil de Charles VI dans la forêt au son de l’armure frappée par la lance. Ces voix républicaines rappelèrent au prince sa vocation. Elles lui montrèrent sur quels appuis il pouvait compter. Dès lors, il exposa toujours plus franchement son programme pour prendre en mains la politique extérieure tout entière.

Mais quelle politique extérieure ! Le prince-président parlait ouvertement d’abolir les traités de 1815 par le moyen d’une alliance franco-anglo-prussienne. Il confiait ses desseins à l’ambassadeur de Prusse lui-même. Admirable projet pour agrandir la France, on agrandirait la Prusse. On lui confierait le soin de diriger l’Allemagne. Le vieux préjugé libéral favorable à la Prusse inspirait Louis-Napoléon. La France et la Prusse n’étaient-elles pas deux soeurs ? « N’avaient-elles pas toutes deux même culture, même idéal de libéralisme éclairé, même intérêt à émanciper et à unir les nations et les races ? » Ces paroles textuelles, le président les prononçait en juin 1850. Au même moment, Palmerston déclarait, sur le ton d’un oracle, « qu’une union allemande sous la direction de la Prusse serait un excellent arrangement européen ». Un excellent arrange-